Le tout dernier drone de l’US Air Force : le pigeon

Le tout dernier drone de l’US Air Force : le pigeon


Article de presse publié sur AGORAVOX.

Ah cette info là, je l’adore. Tombée sur les téléscripteurs, elle a fait sourire tout le monde, et moi en premier. Mais, vous le savez, je suis d’un naturel curieux. D’autant plus que la semaine dernière encore j’entendais dans le métro une phrase de deux étudiants commentant les news, sur ces "crétins d’Iraniens qui venaient même d’arrêter des pigeons"... Il n’y a rien de tel pour me mettre la puce à l’oreille : ça semblait tellement grotesque que je me suis simplement posé la question de savoir si au moins ça pouvait exister, au cas où, car dans ce cas-là on aurait encore une belle charge gratuite fomentée par qui vous savez. La preuve en étant tous les sites pro-neo-cons qui se sont rués sur cette info qui, présentée telle quelle, ridiculise les Iraniens et leurs services secrets ou leur sécurité de sites nucléaires. La façon de s’en gausser était telle, la charge si lourde pour un sujet si léger, que je me suis dit que quelque chose ne collait pas. Et comme dans le Nord, on a une réputation de colombophilie à défendre, je me suis pris au jeu et ai cherché de quoi étayer ou non cette thèse des pigeons espions photographes... et je puis vous dire que j’ai bien fait de douter. Car comme le dit le responsable d’une association d’éleveurs de pigeons américains, celui-là, en haut du toit, n’est peut-être pas celui que vous croyez : "people don’t think of a pigeon as being anything more than a rodent on top of a building", said Pat Avery of Newalla, Oklahoma, who runs the National Pigeon Association and loves to recount decades-old exploits by famous military pigeons such as "Spike" and "Big Tom".



Figurez-vous que je suis tombé de haut, car non seulement c’est possible, mais ça a été historiquement déjà fait, il y a même une centaine d’années maintenant, y compris par les Allemands comme les Français, au seuil de la grande guerre. Et même réitéré dans les années 30 en Allemagne, et mieux encore : en fouinant un peu on découvre que c’est une technique qu’a utilisée la CIA jusque dans les années 70, et dont peut admirer le principe dans un musée spécialisé sur l’espionnage américain situé en pleine capitale : oui, les pigeons espions ça a bien existé, et c’était même chargé de ramener... des photos de ce qu’ils survolaient !

Et je n’étais pas au bout de mes peines, car une étonnante expérience tenue récemment rassemblant tous les éléments nécessaires à une opération d’espionnage reposant au départ sur des pigeons a eu lieu fort récemment... et c’était aux Etats-Unis, dans des circonstances assez saisissantes réunissant les technologies les plus avancées. Etonnante découverte, dont voici les détails. Et moi qui croyais bêtement que seuls les dauphins avaient été testés... pour aller poser des charges explosives sous les navires ennemis... expériences faites de 1960 à 1989, date à laquelle elles avaient été arrêtées... On avait au final abandonné l’espoir de faire de l’ami de l’homme un tueur : le dauphin était trop... joueur pour faire un bon soldat. L’otarie ou le phoque préférant aller faire tourner des ballons sur leur nez, comme l’a si bien chanté Beau Dommage. Finalement, il n’y a que l’espèce humaine pour tuer en dehors de la nécessité de se nourrir. Les autres espèces préfèrent aller jouer...

Les toutes premières expériences avec les pigeons datent de 1903 avec un apothicaire de Cronberg, en Allemagne, le Dr Neubronner, qui avait expérimenté des transports de colis légers sur leur dos, sur des distances "de 60 à 90 miles soit 150 km maxi." Le docteur avait déterminé déjà que c’était le dos du pigeon qui pouvait soutenir la charge, car étant l’endroit le plus résistant de l’animal. Un de ses amis avait proposé de tenter de leur faire prendre des photos, avec de petits appareils munis d’une minuterie : à la grande surprise des deux expérimentateurs, ça marché du premier coup, ce que rapporte en détail le Dr Alfred Gradenwitz dans la revue Technical World Magazine de Chicago, dans un article daté du 9 janvier 1909. L’idée de faire transporter des messages ou des médicaments a été largement ensuite utilisée pendant la Grande Guerre. A très grande échelle. A Lille, à l’entrée du Champ-de-Mars, près de la Citadelle, le monument aux morts visible par tous glorifie ses exploits, comme beaucoup d’autres monuments dédiés à la Grande Guerre. Pour mémoire, les Allemands ont réédité les prises de vue aériennes avec pigeon en 1932 et, aux Etats-Unis au musée de l’espionnage situé en plein Washington, on trouve indication de son usage jusqu’au seuil des années 70. Bref, le pigeon photographe, ce n’est pas nouveau, bien au contraire !

Bon d’accord vous allez me dire, ça date de 1903, de 1907 ou de 1932 vos histoires de pigeon. Pas tout à fait : en fouinant encore je vous ai retrouvé un bel exemple de ce que les Iraniens ont peut-être eu bien l’intuition de saisir. Ça date de fort peu de temps et c’est au départ un projet assez farfelu… qui a été bel et bien réalisé en Californie en août 2006 par une scientifique (mi-artiste mi-scientifique plutôt !), nommée Beatriz Da Costa, pour contrôler la pollution autour de la ville de San José. Vingt pigeons avaient pour l’expérience été munis d’un émetteur, d’un GPS positionné sur leur dos et d’une mini-caméra autour de leur cou. Très vite la caméra s’est retrouvée sur le même circuit imprimé que l’émetteur et a donc migré sur le dos elle aussi, facilitant la réalisation du petit circuit imprimé principal. Les mini-téléphones incorporés envoyaient directement en SMS les messages sur les ordinateurs des scientifiques : "text messages on air quality will be beamed back in real time to a special pigeon "blog", a journal accessible on the internet. Miniature cameras slung around the pigeons’ necks will also post aerial pictures.". En positionnement GPS, ça donnait ça. La dame semblait très fière de son invention. On la trouvait bientôt partout, exhibant ses animaux espions, sous des titres révélateurs : "Data collecting is for the birds". Sachant que le rôle principal de la CIA est de collecter des données sur l’adversaire potentiel...

Elle n’a eu de cesse depuis de promouvoir sa méthode, faisant conférence sur conférence : on la trouve encore en 2007 à l’hôtel Fairmont de San José en train à nouveau de promouvoir le procédé. Thème de sa conférence : "Grassroots Science : Using Pigeons, Sensors, and GPS to Detect Smog". Sachant qu’à Téhéran aussi sévit un smog tenace depuis plus de trente ans, on est vite tenté par un parallèle. Et sachant que les gens de la CIA hantent les salons des inventeurs... on peut se dire que l’invention de notre artiste n’a pas dû tomber dans l’oreille d’un sourd, et encore plus au fond d’une base de données de la CIA sur les moyens de surveillance nouveaux. Les visiteurs de ces expositions peuvent admirer ces protégés de près, comme on peut le voir en photo, et l’on remarque alors que l’ensemble GPS-caméra-émetteur radio est fixé par des liens de nylon quasi invisibles, et que le corps de l’animal ne subit aucune contrainte pour l’emport de la charge de quelques grammes au total. Sans leur équipement, seule une bague peut les distinguer de leurs congénères. Si on résume, ce que vous présente Mme DaCosta est donc bien... un drone, mais vivant ! Voilà qui va interpeller notre grand spécialiste ici, j’ai nommé Charles Bwele (salut, Charles, ravi de profiter de tes connaissances ici-même !).

On connaît ici, dans le Nord de la France, et depuis longtemps, les grandes capacités de ce formidable drone à plumes, choyés par les "coulonneux" : infatigable, capable de retrouver sa route lâché à des centaines de kilomètres de son point d’arrivée (plus de 500 bornes !). Question entretien un pigeon coûte nécessairement moins cher qu’un Predator, et en nécessite pas une piste bétonnée de 2 km pour prendre son envol. Docile, il accepte d’être baladé dans des cages ballotées au fond d’un camion de transport qui bien souvent lui sert d’aéroport de décollage. Comme c’est animal répandu en Afghanistan, en Irak ou en Iran, vous pouvez lui faire passer des frontières discrètement sans avoir à le déclarer obligatoirement comme arme offensive. Dans les faits ça donne ça, raconté par un de ces éleveurs passionnés : "Grâce à une espèce de boussole interne, et quelle que soit la distance à laquelle il se trouve, le pigeon voyageur connaît sa situation, sa position par rapport à son colombier, il navigue et rectifie automatiquement le cap, il peut également utiliser le soleil. Et c’est ainsi qu’à l’âge de 3 mois, dotés d’une condition physique digne de grands sportifs, doublée de soins vétérinaires affectueusement prodigués par Georges, les pigeons sont engagés dans des compétitions régionales prévues de mars à juillet qui s’enchaînent à un rythme hebdomadaire. Trois catégories au choix : vitesse, demi-fond et fond (respectivement jusqu’à 250 km, de 250 à 550 km, et plus de 550 km), selon une organisation très rigoureuse à partir du lieu du lâcher et pose d’une bague caoutchouc pour le contrôle de l’heure d’arrivée. Ils pourront voler de 90 à 100 km/heure à une altitude de 200 m, braver le mistral à 60 km/heure. Mais le pigeon ne perd jamais le Nord !" nous dit cet admirateur-éleveur dijonnais.

Bon, voilà, donc, on sait que le pigeon a été utilisé largement pendant des années par les militaires, et que les techniques de miniaturisation actuelles permettent d’en faire un drone docile et peu coûteux. Maintenant réfléchissons : il y a quelques mois, un journaliste américain, Seymour Hersh, dont la fiabilité est difficile à mettre en cause, révélait que la CIA avait obtenu le feu vert du Pentagone pour augmenter ses opérations spéciales d’infiltration et de renseignements "agressives". Une autre info tombée sur les téléscripteurs le 10 novembre confirme le fait. D’évidence, des hommes des célèbres commandos Delta ou des Navy Seals doivent être depuis belle lurette sur le territoire iranien, à quelques kilomètres de Natanz. Bien entendu, extérieurement, ils doivent davantage ressembler à des talibans qu’à Schwarzenegger en goguette à bord de son 4x4 même écologique. Eux, leur véhicule de prédilection c’est le mulet ou une vieille R-18 (l’Iran en a produit des milliers sous le règne du Shah, avec des Dyanes Citroën !) ou dans sa nouvelle Tondar, moins discrète. Sur le dos de leur mule, ou dans le coffre de leur Renault, un panier contenant des pigeons. Chaque pigeon est muni, juste avant son envol, d’un appareillage "breveté DaCosta" retenu par des fils de nylon quasi invisibles. En cas de pépin (si le pigeon quitte sa trajectoire suivie au GPS), un dispositif coupe les fils et fait perdre son chargement à l’animal (par chauffage du fil ?), qui est lâché en direction de son nid, situé bien entendu à l’opposé du survol de la centrale nucléaire : en moins de quatre mois, n’importe quel colombophile vous ramène invariablement à la maison toute une nichée comme l’indiquait plus haut notre éleveur. Au passage le survol de la centrale est directement transmis sur écran d’ordinateur. Voyez, c’est simple : il n’y a pas qu’à Tourcoing, à mon avis, que "les convoyeurs attendent" (la phrase-clé des concours colombophiles), à part que mon voisin Albert, le roi du pigeon du quartier ne peut pas suivre sur son ordinateur les images en direct du vol de ses protégés : ce vieil Albert n’a même pas d’ordinateur !

En revanche, je pense que quelque part un dénommé John ou Steve regarde avec attention son écran LCD, au fond d’une cave, ou à bord de sa vieille guimbarde, bien à l’abri des regards, à moins qu’il ne relaie directement celles-ci en Floride, au centre de commandement de l’armée américaine, via un simple téléphone satellite. Au passage sont relevés par GPS les futurs points de chute des bombes à bunker. Autant faire ça bien, tant qu’à faire. Et quand un pigeon manque à l’appel, on sait que ce ne sont pas plusieurs millions de dollars d’un Predator qui vient de se crasher. Cette incroyable histoire de pigeons, à la lueur de ce que vous venez d’apprendre, doit donc être regardée avec une tout autre approche : oui, c’est plausible ; et les services secrets iraniens le savent, ils lisent comme moi les comptes-rendus sur les nouveautés technologiques : les Américains n’ont pas que des Predator et des satellites dans leur sac à espionnage. Et en Iran, des "coulonneux" avertis, il y en a aussi ! Dans un pays de tels spécialistes, le comportement des pigeons est aussi connu qu’ici à Tourcoing !

Tout ça ne nous dit pas que peut-on bien faire avec des clichés aériens pris à très basse altitude d’un site nucléaire, remarquez : il suffira de le demander à John McCain, nouveau retraité (forcé) de la vie politique. Déjà, en 1962, à bord de son Skyraider, il aurait déjà eu en main des cliché annotés, paraît-il, au cas où... Fidel Castro se serait obstiné à vouloir héberger des missiles nucléaires russes... Barack Obama pourrait fort bien lui aussi monter dans un siège éjectable virtuel pour se résoudre à attaquer les sites nucléaires iraniens : sa toute première décision a été de nommer un conseiller, Rahm Emanuel ("Rahmbo") qui est chaud partisan de l’option militaire iranienne. D’autres comme Dennis Ross sont dans l’antichambre du pouvoir. J’ai comme d’avis qu’on va bientôt réentendre parler de nos fameux pigeons voyageurs... photographes.

La prochaine étape, on la connaît : ce seront les micro-drones, de toutes sortes, avion, hélico ou même bateau, mais là il faut que je redonne la parole à notre spécialiste-maison… Charles, à toi...


08/03/2012
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