Les avantages de la poste aérienne

Les avantages de la poste aérienne

 

LA VITESSE DE RETOUR



Tous les pigeons n'ont pas la même rapidité : il y en a de lents, malgré leur vigueur, de prompts, malgré leur faiblesse. Simultanément rendus au ciel, ils ne rentrent pas tous même temps : l'oiseau de tête peut être suivi d'autres, à intervalles brefs, et les retardataires, « traînards » ou « rossards » (langage de colombophile), finir par revenir longtemps plus tard, alors que l'on avait cessé de les espérer. Aussi les bruits qui couraient sur leur vitesse étaient-ils discordants : ils franchiraient en moins d'un jour la distance qui prend six jours de marche, d'après les uns, vingt, d'après d'autres, couvriraient 30 lieues (120 km) en quatre ou cinq heures et même, selon les sources, 300 parasanges (1 800 km) quotidiennement.

Ces rumeurs étaient d'autant plus dénuées de fondement qu'aucun instrument ne permettait de calculer l'allure du pigeon qui varie considérablement, non seulement suivant les sujets et leur hâte à rentrer, mais encore en fonction de l'espace à parcourir, de la topographie de la région survolée, des conditions atmosphériques, en particulier la direction et la force du courant régnant. Aussi, pour les courtes et moyennes portées, elle peut n'être que de 70, 75, ou 80 km/h et même en atteindre 90, voire 110 ou 120, par temps calme; alors que pour les voyages au long cours (à partir de 500 km), elle tombe autour de 60 et même moins. Mais si les plus faibles couvrent à peine 84 km par jour, les plus rapides font 1 250, voire 1 320 m par minute. Quant aux champions qui jouissent des faveurs du temps et surtout du vent dont la direction leur permet d'accomplir leur trajet sans presque s'éloigner de la ligne droite, ils fanchissent de 1 800 et 2000 km (108 et 120 km/h) à 2 500 (150 km/h), 2 612 (156 km/h) et 2 953 (185 km/h), sur les petits et moyens parcours, nettement moins sur les grands, de 1 400 à 1 500. En revanche, un vent hostile modère sensiblement leur allure pour en différer le retour : elle varie de 64 à 72 km/h, s'il est de côté, et de 48 à 56, si les voyageurs ailés le reçoivent dans la face pour tourner souvent autour de 50. De même, la brume la réduit à 600 ou 700 m à la minute (soit 36 ou 42 km/h).


LA RAPIDITÉ DES LIAISONS AÉRIENNES



Grâce aux pigeons, la rapidité des communications fut de tout temps prodigieuse. Dans l'Empire abbasside, les événements survenus le matin à Kûfa volaient de bouche en bouche avant le soir à Basra (365 km par la voie des airs), et les bruits des deux villes couraient dans l'espace d'un jour à Bagdad, Mossoul et même à Raqqa, malgré l'immense éloignement : 660 km à tire-d'aile, de Basra, si toutefois le ciel en laissant présager orage ou pluie n'avait ajourné l'envoi, ou un temps hostile surpris le messager pour en retarder le retour. Sous les Buyides, la réponse d'une lettre de Bagdad à Kûfa était obtenue en quelques heures (143 km seulement à vol d'oiseau), alors qu'aller et retour exigeaient des courriers six jours sinon davantage au pas lent de caravane. Dans l'Empire mamelouk, les messagers volants supprimaient également les distances : moins d'une heure à vol battu séparait les relais les plus proches, à peine deux, les plus lointains, si l'on écarte les relais éphémères des bords sud d'Egypte. Assouan et 'Aydâb. Aussi les messages reçus d'Afrique gagnaient-ils rapidement les confins d'Asie : ils arrivaient en un jour du Caire à Damas, malgré la longueur du trajet (620 km à travers l'espace) et le temps perdu en douze stations pour remplacer les messagers. Au galop, la route demandait deux ou trois jours aux fabuleux cavaliers et quatre aux courriers de la poste qui passaient dans les voies avec la rapidité des ailes de l'oiseau. Même sans escale, les nouvelles parvenaient dans une durée proche : les pigeons de fond rentrèrent d'une volée à Subayba le jour même de leur lâcher au Caire. D'Alexandrie à la capitale, les dépêches parvenaient en une demi-journée, malgré deux brefs changements d'aile : les vents dominants, nord, nord-ouest et nord-est qui les portaient au nid en hâtaient le retour. Mais dans le sens inverse, le voyage était plus long : il fallait près d'une heure pour mener les pigeons jusqu'au village de Munyat 'Uqba, où ils recouvraient leur liberté; puis ils devaient souvent lutter contre le vent qui en freinait l'allure. Il ne leur devenait propice en les poussant du sud au nord que deux mois par an : décembre et janvier. Néanmoins, les voyageurs ailés battaient de loin les cavaliers les plus rapides : d'une ville à l'autre, les plis mettaient deux jours, s'ils étaient emportés par le vol d'un cheval ardent de la poste; et davantage par les courriers privés magnifiquement payés : trois jours et demi pour les plus pressés, sinon quatre ou cinq, comme du temps des Fatimides. Dans l'Empire ottoman, le voyage d'Alep à Bagdad (730 km à tire-d'aile) n'exigeait que deux jours par le ciel, alors que les messagers et la poste en mettaient d'ordinaire de 13 à 15, les petites caravanes près de 25, et les grandes, lourdement chargées, de 28 à 36 pour franchir les sables déserts, sinon 40, et même plus de deux mois, leur lenteur pouvant en doubler la durée, sans parler des périls du chemin qui en rendaient la durée incertaine. Le trajet Alexandrette-Alep (100 km à tire-d'aile) ne demandait aux voyageurs ailés que quelques heures, parfois moins, malgré l'Amanus qui troublait leur orientation et ralentissait leur allure en les obligeant à régler leur altitude sur des cimes culminant de 1 200 à 2 400 m, alors que la route prenait aux cavaliers bien montés deux journées, et même trois petites ou quatre pour les autres, pour en couvrir les 40 lieues (160 km). Ces délais variaient cependant suivant l'oiseau et le temps, comme le prête à croire la divergence des sources : moins d'une heure et parfois même une demi-heure pour les plus prompts, spécialement si le vent les rapportait au nid ; mais généralement deux, tantôt légèrement moins (une et demie ou au plus trois quarts d'heure), tantôt un peu plus (deux et demie ou moins de trois), sauf si le temps devenait hostile : ils pouvaient alors mettre trois, quatre, cinq et même six heures. Enfin les billets qui s'envolaient d'Ormuz tombaient en un jour à Bagdad, alors que le trajet en coûtait cinquante par voie d'eau, douze de l'île à Basra, puis trente-huit de Basra à Bagdad.

Quant aux voyages au long cours, comme Pergame-Basra (2011 km à vol battu), Constantinople-Basra (2 080 à tire-d'aile) ou Tunis-Le Caire (dix de plus par le ciel), qui étaient depuis longtemps réduits au souvenir de leur souvenir, si bien que la mémoire en était confuse et la date oubliée, leur durée demeure inconnue : au mieux deux jours, au plus deux semaines, car la vitesse du retour diminue avec la distance : le 13 juillet 1897, des 717 pigeons lâchés à Lisbonne, les premiers ne reparurent à leur colombier de Charleroi que le 26; le 18 juillet du même mois de la même année, de 414 libérés à Madrid (à 1 343 km), deux seulement rentrèrent dans la journée du 20, les autres, les jours suivants; en 1901, un voyageur français revint en 16 jours de Grafton (Virginie) à Denver (Colorado); en 1928, un oiseau de fond en mit 12 pour franchir les 1890 km qui séparent La Havane de Washington. Mais, en 1916, 2717 km furent couverts en 22 jours 8h 22 min; et en 1924, 2 850 en 23 jours, 7 h 54 min. Ces délais varient non seulement en fonction de la direction du vent et des conditions atmosphériques, mais aussi suivant les escales qui allongent le retour que la nuit ne suspend pas toujours; le pigeon vole dans les ténèbres sans le secours des yeux, s'il n'est plus éclairé que par les étoiles qui le guident par ciel dégagé : seule la lumière crue des lunes pleines trouble sa direction. Son allure n'en est que légèrement modérée : malgré la cécité qui le frappe dans l'ombre, il peut faire un kilomètre par minute. Il suit son chemin grâce à un aimant formé d'aiguilles ferrugineuses, dont le magnétomètre a révélé la présence dans différentes régions de la tête ou du cou, et le microscope électronique la composition. Ce vol en aveugle ne provoque pas de collisions fatales : le voyageur de nuit fait sa route dans le haut des airs.


LES DISTANCES PARCOURUES



Les pigeons au long cours couvrent couramment en un jour 800 à 1 000 km, lors des voyages de retour. Aussi des volées d'envergure comme Damas-Le Caire (620 km) ou Alep-Bagdad (730 km) sont loin d'être extraordinaires, bien que tous les voyageurs ailés ne puissent les effectuer : pour parcourir de si grandes étapes, souvent sans escale, l'effort fourni est immense : les rameurs, qui ignorent les repos passagers des planeurs, sont condamnés à regagner la terre, s'ils cessent de fouetter l'air du battement régulier de leurs ailes.

Mais les oiseaux de fond hors ligne sont aptes à franchir des distances prodigieuses : jusqu'à 1 500 km sur un terrain dépourvu d'obstacles montagneux, sans atteindre toutefois 1 000 ou 3 000 parasanges (6 000 ou 18 000 km), comme le répètent nombre de sources arabes, suivant la coutume orientale d'enfler artificiellement les bruits. Les merveilleux retours que le calame a daigné reprendre sont infiniment plus modestes, même ceux des pigeons de Basra que l'on délivrait de la captivité après un long voyage : dès le début du IIIe/IXe siècle et peut-être même dès la fin du précédent, plusieurs avaient fendu le ciel de leurs ailes pour rentrer de Syrie du Nord et même de Pergame dans l'Empire byzantin, pourtant à 2 011 km par la voie du ciel; un peu plus tard, d'autres étaient retournés de Fustât, où le cadi Bakkârb Qutayba leur avait donné l'envolée, parcourant 1 610 km; enfin, à une date profondément oubliée et quasi impossible à déterminer, un voyageur ailé était revenu de Constantinople, malgré l'immense distance (2 080 km à tire-d'aile) que la nature avait mise entre les deux mondes. Ces prouesses furent même dépassées entre 442/1050 et 450/1058 par un prodigieux oiseau du Caire : lâché à Tunis par le vizir Yàzûrï, il couvrit 2 090 km pour regagner son colombier en franchissant des sites nouveaux à ses yeux, notamment les vastes solitudes de Libye et d'Egypte aux sables souvent plus déserts que la mer où une soif ardente avait dû le dévorer. Encore ne sont-ce là que les voies fictives (les routes réellement suivies restent toujours inconnues); le pigeon ne rejoint pas toujours son nid par le plus court chemin, comme on le calcule sur une carte de la terre : à peine libre, il monte droit dans l'air comme une flèche et tournoie quelques minutes pour s'orienter. Puis, s'il connaît bien la région, il retourne directement au colombier. Mais s'il l'ignore, il décrit de multiples circonvolutions, zigzags ou spirales, comme il peut vagabonder longtemps dans l'espace avant de retrouver sa route. Enfin, il décrit dans l'air maintes paraboles dont les formes et l'ampleur sont impossibles à déterminer. Aussi les distances franchies par ces voyageurs ailés devaient-elles être plus importantes : lâchés de sites jamais visités, ils avaient survolé des pays inconnus, où l'absence de repères visuels offerts par les déserts et la mer risquait de les égarer. Ces exploits ne furent approchés, puis égalés, que dans la seconde moitié du XIXe siècle : en 1868, quelques pigeons envolés de Rome rentrèrent en Belgique (1 448 km par le ciel), dont le nombre diverge suivant les sources : 10 sur 180, suivant les uns, 20 sur 200, suivant d'autres; en 1884, quatre volatiles du comte Karolyi revinrent de Budapest à Paris (1 293 km à tire-d'aile) en sept heures; à diverses dates, des champions retournèrent de Madrid ou de Lisbonne à Liège, Bruxelles ou Anvers, couvrant 1 300 à 1 600 km en ligne droite; un pigeon évadé des côtes d'Afrique regagna Anvers; aux États-Unis, des distances de 1 950 et 2 119 km furent même franchies. Ces prouesses furent ensuite largement dépassées en Europe et en Amérique, grâce au progrès des cultures de fond : des oiseaux auraient quitté le Nouveau Monde pour regagner leur ancien nid de Belgique. Mais ils n'ont pu traverser l'Atlantique (environ 6 000 km de large) dont les espaces infinis confinent toujours à l'horizon qu'à la faveur des navires qui les avaient successivement recueillis et portés : les retours de lâchers en mer deviennent incertains s'ils dépassent 400 km. D'autres pigeons avaient retrouvé leur colombier, malgré la prodigieuse longueur du voyage : 2 717 km en 1916, 2 850 en 1924, 2 934 en 1923, 3 218 à une date indéterminée, bien que relativement proche, enfin 3 226,500 en 1927. Au-delà, les exploits aériens plongent dans le doute, comme ce record mondial de 1931 : l'oiseau aurait mis 24 jours pour aller d'Arras à Saigon, couvrant quelque 11 500 km d'un continent à l'autre. Comme cette incroyable prouesse demeure invérifiable (les historiens sont plus sceptiques que les ornithologues), il est préférable de ne pas en tenir compte. Les pigeons dont le vol excède 4 000 km sont voués à périr en chemin, comme ce champion du duc de Wellington qui mourut d'épuisement à moins d'un mille (1,6 km) du nid, 55 jours après lâcher : il était revenu de l'extrémité de la terre, de l'île d'Ichabo, au sud de la Namibie, sur la côte des Pingouins, où il était redevenu libre et voyageur, avec une bande d'oiseaux d'élite de même origine pour continuer sa route solitaire vers son nid du Royaume-Uni. Il aurait parcouru au moins 8 689 km, avant de succomber, mais en réalité davantage ; il n'avait pas dû longuement voler en ligne droite pour faire un immense détour de plus de 1 609 km et fuir l'enfer du Sahara, où il ne pouvait éteindre la faim et la soif ardentes qui l'auraient brûlé dans le ciel. Aussi avait-il peut-être même couvert, suivant certains, 11 263 km, soit près de 204 par jour. Mais nul pigeon n'a jamais franchi 3 000 parasanges (18 000 km), comme les sources arabes se plaisent à le répéter.



08/03/2012
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